Les agriculteurs ont débuté leur manifestation à Paris ce matin, après un été agité en France. François Patriat, ancien ministre de l'Agriculture, juge sévèrement le modèle défendu par la FNSEA, et l'impunité dont jouissent parfois les agriculteurs.
Alors que les agriculteurs manifestent en masse ce matin à Paris pour crier leur «detresse» et leur «colère», RT France a interrogé le dernier ministre de l'Agriculteur socialiste avant Stéphane Le Foll, François Patriat.
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— AndréAbalo (@AbaloAndre) 3 Septembre 2015
RT France : Que vous inspire, après la fronde de cet été, ce nouveau mouvement des agriculteurs français ?
François Patriat : Je pense que la situation agricole, dans tous les domaines, est difficile. Dans toutes les productions, les agriculteurs souffrent. On parle beaucoup des éleveurs, du lait, du porc, mais on parle peu des céréales, où les prix sont aussi très bas. Mais attention, ce que je demande aussi, c'est un peu de responsabilité. Le gouvernement s'est déjà battu en Europe pour réformer la Pac, pour apporter plus d'équité. Le procès qui est fait aujourd'hui au gouvernement n'est pas justifié.

RT France : Que peut faire le gouvernement pour malgré tout endiguer et calmer cette colère ?
François Patriat : L'équation est compliquée, et ce qui est certain c'est que le gouvernement ne peut répondre que par Bruxelles. Après, que demandent les agriculteurs ? Une baisse des charges. Ca veut dire quoi ? Baisser le cout des fertilisants, des engrais, des intrants, des pesticides ? Ce ne serait pas neutre écologiquement... Baisser les charges sur les salariés agricoles ? Ils ne sont pas très nombreux, cela ne changera pas la donne. Baisser les charges sociales ? On ne peut pas demander plus de protection, comme le font les agriculteurs, et moins de charges...
Les tracteurs bretons ont de l' humour pic.twitter.com/11P22oI2Uo
— anne chaon (@achaon) 3 Septembre 2015
RT France : L'Europe semblent aujourd'hui cristalliser la rancoeur du monde agricole, comprenez-vous cela ?
François Patriat : Depuis toujours, les agriculteurs grognent contre l'Europe. J'ai connu de près toutes les réformes de la Politique agricole commune. Celle des quotas laitiers, les agriculteurs n'en voulaient pas ; celle de 1993, ils l'ont rejeté ; celle de Michel Barnier, ils l'ont rejeté. Ils sont toujours contre les réformes de la Pac, de l'Europe, et six ans après, ils le regrettent. Ce qu'il faut leur dire c'est qu'à un moment donné, l'Europe peut aussi dire stop à la Pac, nous avons assez aidé l'agriculture. Il y a une énorme contradiction entre des agriculteurs, qui sont libéraux, et qui demandent une économie administrée! Les risques sont normalement inhérents à l'agriculture. Je suis par exemple convaincu que l'an dernier, on a aidé des agriculteurs qui se sont enfoncés dans la crise. On aurait mieux fait de les arrêter dès l'an passé.
RT France : Alors comment changer la donne, alors que de nombreux agriculteurs affirment ne pas pouvoir vivre de leur travail ?
François Patriat : Ce qu'il est important de dire aux agriculteurs, c'est que le modèle de la FNSEA des années 80 a vécu. Il y a d'autres modèles, et certains s'en sortent avec le photo-voltaïque, le bio, une autre manière de travailler. On va, qu'on le veuille ou non, vers une concentration des exploitations. Cela peut se faire sans être au dépens de l'emploi d'ailleurs. Ceux qui ont des petites fermes doivent trouver des moyens de s'associer pour grandir, pour réduire leurs frais de production, avoir du temps de repos, des vacances, un revenu... Le modèle agricole des années 70-80 a vécu, le problème c'est que les agriculteurs ne s'en rendent pas tous compte.
RT France : Vous avez été ministre en 2002, vous avez connu des frondes agricoles, 13 ans plus tard, la situation ne semble pas avoir changé ?
François Patriat : Je crois que la grogne des agriculteurs est consubstantielle à la République, à notre pays. Ils ont toujours fonctionné avec la menace, la pression. Aujourd'hui, la FNSEA a peur d'être débordé par sa base, et c'est vrai que je suis inquiet pour demain (l'interview a été réalisé mercredi soir, ndlr). J'ai peur que la manifestation donne lieu à des débordements. Si cette manifestation a pour but d'aider le gouvernement à arriver en force à Bruxelles le 7 septembre pour le sommet agricole, d'accord. Mais à une période où tout le monde se sert la ceinture, il faut aussi faire attention, car le mouvement pourrait aussi être mal vu de l'opinion publique.
Agriculteurs sur Paris on attend la pollution diesel les pneus brûlés les dégradations les animaux maltraités &comme d'hab l'impunité totale
— Myriam CAU (@myricau) 3 Septembre 2015
RT France : Vous parlez de dégradations. Il y en a eu durant l'été, et pourtant, on a le sentiment que les agriculteurs jouissent d'une certaine impunité ?
François Patriat : Oui, c'est le cas. Et ils jouent d'ailleurs sur ce sentiment d'impunité. On a déjà eu des cas graves, avec par exemple l'incendie du Parlement de Bretagne à Rennes. Ce qui est certain, c'est qu'à chaque fois que quelqu'un a porté plainte contre les agriculteurs ou leur syndicat, la plainte est classée. Parfois, il n'y a même pas de plainte. Mais attention. Car si les Français aiment leur agriculture - on le voit dans les salons -, je ne suis pas certain qu'ils aimeront toujours leurs agriculteurs s'il y a des débordements.
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