Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l'University College de Londres, décrypte pour RT France la lettre de François Hollande publiée le 19 juillet au JDD où le président fait l’éloge de l’Union européenne.
RT France : Quel regard portez-vous sur la lettre de François Hollande publiée au Journal du Dimanche (JDD) ?
Philippe Marlière : On peut dire que cette déclaration est dans la ligne de ce que Hollande dit sur l’Europe et l’intégration européenne depuis au moins 30 ans. Le texte est de tonalité fédéraliste, il prône le renforcement des institutions supra-nationales en parlant de renforcement du parlement qui viendrait superviser un gouvernement économique européen. Cependant c’est très vague comme concept, François Hollande ne définit pas comment cela va fonctionner.
RT France : Qu’est-ce qui vous a surpris dans cette lettre ?
P.M. : Ce qui est frappant dans cet article c’est plutôt les absents - c’est qu’il n’y a aucune référence à la crise grecque. Il redit une nouvelle fois que l’accord témoigne d’une cohésion et une solidarité dans l’Europe alors que cet accord a été vécu en Grèce comme une humiliation et une imposition totale d’un diktat de l’Eurogroupe. Il n’y a rien sur la situation catastrophique des finances grecques dont on ne connaît pas véritablement l’avenir.
Tous les économistes sérieux dans le monde le reconnaissent en disant que cela ne va pas marcher et évoquent même une possibilité éventuelle de Grexit. Parler d’un gouvernement économique européen comme ça me semble une diversion, une distraction plutôt qu’une façon de résoudre vraiment les choses.
Réactions politiques sévères après la #lettre de @fhollande dans @leJDD - Pour @RTenfrancais :
http://t.co/HoxJm06TXbpic.twitter.com/fzzGpesOQD
— Guillaume Ulmann (@GuillaumeUlmann) 19 Juillet 2015
RT France : Pourquoi ?
P.M. : Il y a déjà un gouvernement économique européen. Regardez ce qui s’est passé avec la crise grecque. Qui est en train de la gérer ? La BCE ? Jean-Claude Juncker ? Non, c’est finalement l’Eurogroupe, que Varoufakis a qualifié d’instance informelle sans règles, sans règlement qui est composée de représentants d’Etats, les uns plus puissants que d’autres, notamment l’Allemagne. L’Eurogroupe est une instance indéfinie, qui n’a pas de statut.
On peut déjà dire qu’il y a de fait un gouvernement économique sous domination allemande. Et c’est à ce niveau-là que les décisions sont prises. Ce gouvernement fonctionne d’une façon pas transparente, pas démocratique, pas solidaire à mon avis, mais ce gouvernement existe. Les Etats membres tiennent le dessus en Europe. Les institutions européennes ne sont pas là pour décider quoi que ce soit mais avaliser des choix qui sont faits par L’Allemagne et les pays qui gravitent autour.
RT France : Quel était le rôle de la France dans la résolution de la crise grecque ?
P.M. : Il y a deux versions de ce qui s’est passé pendant ce fameux weekend à Bruxelles. Selon François Hollande, la France a joué un rôle important, sans elle l’accord n’aurait probablement pas eu lieu, la Grèce serait sortie de la zone euro. La France a joué du compromis entre les exigences allemandes et grecques.
Une autre version des faits c’était un numéro de duettistes «good cop - bad cop», ce dernier étant les Allemands et le « good cop » étant Hollande. Finalement étant «plus sympathique» il a amené les Grecs à signer un accord qui est très mauvais pour eux. Le «good cop» était au service de la cause allemande.
RT France : Quelle est la raison pour François Hollande de publier cet article maintenant ?
P.M. : C’est très difficile de dire quelles sont ses intentions parce que l’article est très vague et général. Je crois que c’est une façon de reprendre la main. Puisqu’il dit avoir sauvé la Grèce lors du sommet de Bruxelles, il va maintenant faire des propositions. C’est une tentative conjoncturelle de montrer que la France est de retour, qu’elle a des idées en Europe. Depuis l’élection de François Hollande en 2012 il a été beaucoup critiqué sur l’Europe en disant qu’il était un petit caniche d’Angela Merkel, qu’il se pliait aux exigences allemandes. Il a aussi d’une certaine façon succombé à l’austérité allemande.
#Grèce : le #FMI a déjà confirmé, dans une déclaration officielle, la réception du paiement http://t.co/2gEIOCLtzFpic.twitter.com/AIwHwbgVLi
— RT France (@RTenfrancais) 20 Juillet 2015
RT France : Est-ce qu’il faut plus de fonctionnaires européens ?
P.M. : La vrai question, la nouvelle institution au sein de l’Europe – pourquoi faire ? Il faut revoir les politiques économiques européennes qui sont désastreuses, les politiques d’austérité ne marchent pas. Les politiques économiques de la zone euro sont une catastrophe en particulier pour les Etats les plus endettés – l’Espagne, le Portugal, l’Irlande. Les endettements publics ont une nature à l’origine privée : c’étaient des endettements privés des banques rachetés par la Troïka et l’UE pour pouvoir permettre aux banques de ne pas disparaître.
Il y a eu un tour de passe-passe quand l’Europe est intervenue pour sauver les banques mais ne semble pas s’émouvoir qu’une nation de 10 millions de personnes est en train de s’enfoncer dans une tragédie économique et humaine. C’est au cœur de l’Europe, et tout à fait intolérable. La priorité serait cela et non pas agiter de nouvelles idées. Il y a une vertu pédagogique dans cette tragédie, les gens qui ne voyaient pas l’austérité comme un horizon indépassable maintenant commencent à comprendre que tant qu’on ne sortira pas de cette logique infernale de l’austérité on peut continuer pendant des années comme ça, les économies européennes vont stagner ou être en récession.
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.