Les pourparlers sur le nucléaire iranien se présentent aujourd’hui, à quelques heures de la date de leur conclusion annoncée pour le 7 juillet, comme un ensemble de problèmes d’ordre technique. Mais il n’en a pas été toujours ainsi.
En effet, derrière les aspects techniques de ces pourparlers se cachent des peurs et des espoirs provoquant des réactions régionales et internationales d’un registre oscillant entre la dramaturgie Grecque et le théâtre de l’absurde. Car la question du nucléaire Iranien se joue sur une toile de fond existentielle pour une partie des acteurs concernés et leurs alliés régionaux. La République Islamique d’Iran veut, au delà de l’accord et de la levée des sanctions qu’il entraîne, affirmer une certaine dignité et normalité au sein de la communauté internationale, à travers la reconnaissance de son droit au nucléaire civil. A l’opposé, les Etats-Unis et Israël ont toujours vu le programme nucléaire civil iranien comme un préambule pour le nucléaire militaire. Les suspicions d’Israël en particulier proviennent du fait que ce pays a développé son propre programme nucléaire militaire, un programme qui reste non avoué, avec la complicité de la France et du Royaume Uni, sans que la communauté internationale puisse jamais exercer le moindre contrôle ou vérification. Israël continue à produire des armes nucléaires, n’a jamais été signataire d’aucun traité international de prolifération et ne fait pas l’objet de vérifications par l’agence des Nations Unies pour l’énergie atomique (AIEA).
Le climat de suspicion accompagne le programme nucléaire iranien depuis l’avènement de la révolution Islamique, malgré le fait qu’il a débuté sous le régime du Shah avec la bénédiction des occidentaux. Mais l’absence d’un dialogue permanent et de canaux diplomatiques entre la république Islamique d’Iran et les pays occidentaux, ainsi que la présence de tensions permanentes dans un contexte de montée en puissance de l’Iran comme acteur régional, renforcent le climat de suspicion. D’un autre côté, l’Iran craint de s’ouvrir à des pays comme les Etats-Unis, la France ou le Royaume Uni, qui ne cachent pas leurs ambitions de vouloir changer les gouvernements des pays du Moyen-Orient en des gouvernements dociles, souvent par la force.
Dès 2003, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, talonnés ensuite par le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et les Etats-Unis (ÉU), mettent de la pression sur l’Iran pour arrêter l’enrichissement de l’Uranium, même dans des buts de développement et de recherche. En conjonction avec l’ONU, un régime d’inspections sans précédent est instauré, auquel l’Iran se soumet en tant que signataire du traité sur la non prolifération (TNP). C’est ainsi qu’à deux reprises, en 2003 et en 2004, l’Iran accepte de suspendre volontairement ses activités d’enrichissement, bien que n’étant pas en violation du TNP, pour calmer les suspicions et les pressions. Mais en 2005, le président Ahmadinejad annonce la reprise du programme nucléaire, toujours dans des buts civils. En fait, l’Iran a toujours insisté sur la dimension civile de son programme et certains commentateurs signalent à juste titre que lors de la guerre avec l’Iraq, l’Iran n’a jamais eu recours à des armes de destruction massive contre les Iraquiens bien que ceux-ci n’aient pas hésité à utiliser leurs armes chimiques, développées avec l’aide de l’occident, sur les soldats iraniens. L’Iran a insisté aussi à maintes reprises sur l’existence d’une fatwa émise par le père de la révolution iranienne, l’Ayatollah Rouhollah Khomeini, contre le développement de l’arme nucléaire. Mais l’annonce de la reprise du programme civil nucléaire est mal reçue dans les capitales occidentales et par les pays membres du conseil de sécurité. Ils imposent progressivement un régime de sanctions unilatérales et multilatérales, croissant en sévérité, culminant en 2010 et 2012 par des sanctions économiques draconiennes et punitives de la part des ÉU, accompagnées d’un régime de sanctions secondaires, visant leurs alliés et le reste du monde, pour resserrer l’étau sur l’Iran.
Mais la culmination des sanctions, et le sentiment dans les capitales occidentales de l’impossibilité d’infléchir la position de l’Iran sur son nucléaire civil, ainsi que le changement de présidence en Iran en 2013 vont susciter la reprise des pourparlers. Très vite, les ÉU établissent des contacts diplomatiques en secret avec les Iraniens. Ces contacts conduisent à une rencontre entre le secrétaire d’état John Kerry et le ministre Iranien des affaires étrangères Javad Zarif au mois de Septembre à New York, en marge de l’assemblée générale de l’ONU, et à un coup de fil du président Obama au président Rouhani alors qu’il s’apprêtait à quitter New York après l’assemblée. Et avec l’accord tacite du guide suprême de la révolution Ali Khamenei, les conditions sont réunies pour reprendre les négociations entre l’Iran et les P5+1.
La prémisse des pourparlers du côté Iranien est simple, une fois le programme nucléaire civil accepté, l’Iran s’engage à donner des garanties pour lever les suspicions sur le nucléaire militaire. Dès lors, la tâche des négociateurs est de séparer les dimensions civile et militaire à travers un processus de réduction de la question du nucléaire iranien à une série de problèmes techniques ; la quantité et le pourcentage d’Uranium enrichi, le nombre de centrifugeuses, etc… La reconnaissance du droit de l’Iran au nucléaire civil est officialisée au tout début des négociations dans ce qui est appelé l’accord préliminaire ou le plan d’action conjoint annoncé le 24 Novembre 2013 à Genève qui résulte en une limitation de l’activité nucléaire de l’Iran, une série de vérifications par l’AIEA et une levée et un dégel partiaux et minimes des sanctions et des avoirs iraniens à l’étranger. Les étapes ultérieures allaient mettre en œuvre les processus de vérification et de contrôle du nucléaire à des fins militaires.
Force est de constater que la réduction du nucléaire iranien, chargé pendant longtemps de connotations existentielles, à une série de problèmes techniques, relève à la fois de la volonté politique d’arriver à un accord et du génie des négociateurs. Mais les questions existentielles n’ont jamais quitté une arène de négociations devenues techniques, en y amenant des difficultés additionnelles, et cela malgré le fait que les principaux opposants à un accord avec l’Iran, Israël et les monarchies du Golfe, ont soulevé leur barrage d’objections tous azimuts dès le début des pourparlers. Car il a fallu attendre un an et demi et manquer deux dates butoir auto-imposées, après Novembre 2013, pour arriver seulement à un accord cadre en Avril 2015, mais pas d’accord final. L’accord cadre prévoit la réduction du nombre des centrifugeuses et l’arrêt de la construction de nouveaux sites d’enrichissement, pose des contraintes sur le travail de certains réacteurs, prévoit le contrôle des sites par l’AIEA et la levée des sanctions. Très vite, le calendrier de la levée des sanctions s’avère problématique. Les ÉU veulent retarder la levée et la rendre conditionnelle alors que l’Iran s’attend à la levée simultanée de toutes les sanctions. Le calendrier de la levée des sanctions se révèle immédiatement comme une question épineuse.
Une autre question épineuse, qui s’est ajoutée négociations en cours, et qui n’était pas présente au départ, est celle d’une possible dimension militaire passée du programme nucléaire. Selon certains, cette question est basée sur des renseignements fournis par Israël aux ÉU. Le journaliste d’investigation Gareth Porter est arrivé à la conclusion que ce renseignement est fabriqué car il n’est confirmé par aucun autre renseignement et il va à l’encontre des convictions religieuses des dirigeants iraniens. De plus, à supposer qu’un programme nucléaire militaire ait existé par le passé, il est clair qu’il n’existe plus aujourd’hui car ni les inspections passées de l’AIEA, ni les inspections demandées pendant les négociations n’ont pu mettre en évidence l’existence d’un tel programme. Demander alors des explications sur un programme passé revient à demander à l’Iran de se prosterner dans une position d’accusé coupable, ce qui est contre productif pour les négociations.
Mais si les demandes excessives provenant des ÉU et de son allié Israël devaient continuer, ou si ces demandes vont empêcher un accord, ou empêcher les ÉU de respecter cet accord par le biais d’un congrès hostile à l’Iran et farouchement pro-Israël, il n’est pas certain que les autres pays protagonistes des négociations suivront ce chemin. En effet, l’unité des p5+1 est admirable car leurs intérêts face à un accord avec l’Iran diffèrent et divergent, et le chemin parcouru est aujourd’hui considérable pour tout laisser tomber.
Quelle que soit donc l’issue des pourparlers le 7 juillet, ou après le 7 juillet d’il y a une prolongation, il existe déjà un certain nombre d’acquis. Le premier acquis incontestable est le droit de l’Iran au nucléaire civil qui a servi de prémisse à ces négociations. Le deuxième acquis, qui est plutôt psychologique, est celui de pouvoir désormais séparer la réalité des peurs, discréditant la propagande contre le nucléaire iranien. Quand au reste, et à considérer les toutes dernières déclarations émanant de John Kerry et de Javad Zarif à Vienne, où se déroule la dernière phase des pourparlers, il semble qu’il nous faille encore attendre.
Sonia Mansour Robaey
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