Raphaël Liogier : «Il y a, à propos de la nouvelle instance sur l'islam, une vraie ambiguïté»

Raphaël Liogier : «Il y a, à propos de la nouvelle instance sur l'islam, une vraie ambiguït黩 Zohra Bensemra Source: Reuters
Mosquée de Paris
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Le gouvernement vient de lancer une instance de dialogue avec l'islam de France. Raphaël Liogier, Professeur des universités et directeur de l'Observatoire du religieux pose la question d'une instance qui risque d'osciller entre dialogue et contrôle.

RT France: Pourquoi créer une nouvelle instance qui devra, selon les mots de Bernard Cazeneuve, «instaurer un dialogue avec l'Islam»?

Raphaël Liogier: Ce n'est pas une instance formelle, ce sera surtout une instance de dialogue. Il ne s'agit pas de remplacer le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) par autre chose mais de faire justement en sorte que le CFCM, à travers cette instance de dialogue, devienne une organisation représentative de la multiplicité des musulmans alors qu'elle ne l'est pas aujourd'hui. Mais cela, on pouvait le deviner depuis les débuts du CFCM, car il ne faisait que refléter des factions, des oppositions, qui sont liées à l'Islam post-colonial qui étaient entrées en lutte au sein du CFCM: l'Islam des Tunisiens, l'Islam des Algériens, l'Islam des Turcs, etc...Or aujourd'hui, les nouvelles générations, surtout celles qui sont dans une sorte de revival de leur foi, ne se reconnaissent pas du tout dans ces différences et se sentent avant tout Français musulmans. L'enjeu pour le gouvernement est surtout de se reconnecter avec cette jeunesse.

Pour en savoir plus: Islam en France ou Islam de France, la nouvelle instance qui doit réfléchir à la question

RT France: La question de l'Islam était-elle une question urgente à régler?

Raphaël Liogier: Il y a en France, une espèce d'imaginaire et une atmosphère qui sont, au mieux ceux de la dénonciation de l'islamisation et au pire la peur de l'Islam qui serait forcément terroriste. Certes Bernard Cazeneuve a voulu éviter qu'on parle du thème de la radicalisation pour éviter toute stigmatisation, mais cela demeure prégnant dans la société française. Même si on veut éviter que cette réunion paraisse comme une attaque en règle contre les musulmans, malgré tout, dans le décor, on sent bien qu'il s'agit certes de rétablir le lien avec ce que j'appelle «les nouveaux musulmans», mais finalement aussi demeure l'idée de les contrôler de façon institutionnelle.

RT France: Sur quels critères a-t-on sélectionné les participants?

Raphaël Liogier: L'idée a été d'aller chercher des Français musulmans dans le tissu associatif sans pour autant éviter d'inviter des musulmans désignés comme fondamentalistes, voire réactionnaires. Pourtant le gouvernement prétend de façon un peu hypocrite, voire ridicule, qu'aucun d'entre eux ne se reconnaît comme salafiste. Là aussi, cela ne veut rien dire car «salafiste» signifie simplement  «pur». En fait, on sent comme une danse ambiguë entre Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, le premier étant plutôt sur une ligne dure, le second sur une ligne pragmatique. Ils vont essayer de trouver une voie médiane entre les préjugés du premier et le réalisme du second.

On est là dans une vraie ambiguïté. D'un côté, il y a le ministre de l'intérieur qui a compris qu'il fallait changer radicalement. Il a fait quelques discours qui ont montré qu'il fallait faire cesser cette sorte de laïcité intrusive ou de laïcité qui est devenue un instrument d'hygiénisme identitaire et revenir vers une laïcité authentique dans laquelle tous les musulmans peuvent s'inscrire. De l'autre, il y a cette nouvelle définition d'une espèce de laïcité, d'une République en guerre contre les musulmans, qui seraient tous des ennemis et des djihadistes violents en puissance.  

RT France: Selon les autorités françaises, ces 150 personnes ont été sélectionnées aussi en raison de leur «fidélité à la République». Que signifie cette notion?

Raphaël Liogier: Cela ne veut rien dire. Ce mot de République est utilisé comme une version positive dont l'islam serait le négatif, l'envers. Par exemple, est-ce que les musulmanes qui portaient le voile à l'école avant la loi qui l'a interdit n'étaient pas fidèles à la République. Oui, jusqu'à ce que l'on fasse une loi qui interdit le voile et les mettent en rupture avec les lois. Cette notion de fidélité à la République est plus qu'à géométrie variable, elle est plus que fluctuante en fonction des préjugés et des angoisses de la société française. Il faudrait donc un peu travailler sur ces angoisses.

Cette réunion doit aussi parler de la formation des imams, en espérant que cela soit suivi d'effets. Mais si cette formation continue à se comprendre comme une espèce de traitement social et culturaliste de l'islam, une façon d'apprendre aux musulmans «à bien se tenir à la table républicaine», cela ne va pas attirer les gens. J'avais proposé, avec d'autres, aux autorités françaises de créer une faculté théologique à Strasbourg qui aurait permis d'obtenir de vrais diplômes d'imams de la République. C'est une piste à suivre.

Raphaël Liogier : «Il y a, à propos de la nouvelle instance sur l'islam, une vraie ambiguït黩 Vincent Kessler Source: Reuters
Musulmans en prière, Mosquée de Strasboug

RT France: Cette instance doit également réfléchir à l'image de l'islam en France. Celle-ci n'a-t-elle pas été ternie essentiellement en raison du djihadisme?

Raphaël Liogier: Le djihadisme aujourd'hui n'a pas grand chose à voir avec la religion. Il s'agit là d'une phénomène autonome qui tient à une espèce de hooliganisme de personnes qui ne sont pas forcément musulmans à la base et qui avaient déjà une vie dérégulée, en marge de la société. Autrefois ils auraient pu être skinhead mais ils ont choisi de prendre justement les signes extérieurs de l'islam car cette religion a précisément une image anti-sociale. Il faut justement lutter contre cette image de l'islam et redonner une visibilité positive aux musulmans, mais pas avec des entreprises condescendantes. J'ai bien peur que cette instance de dialogue ne finisse par redevenir une instance de contrôle qui améliorera un peu les choses mais ne renversera pas les problèmes.

RT France: N'y-a-t-il pas un paradoxe à se référer à la loi de 1905 sur la laïcité tout en voulant organiser une religion?

Raphaël Liogier: La laïcité ne signifie pas qu'on n'intervient pas dans le religieux. Au nom de la fraternité, le gouvernement peut très bien intervenir. Les article 2 et 25 de la loi de 1905 indiquent que l'Etat doit d'assurer la liberté de culte, son pleine exercice. Si des religions ne bénéficient pas de conditions pour assurer ce culte, l'Etat peut et doit intervenir. Si cette instance est là pour aider les musulmans, cela ne pose pas de problème, mais si elle cherche à les contrôler, là il y aura clairement transgression de la laïcité. La logique du contrôle est donc toujours possible.

RT France: Vous parlez dans vos analyses d'une question de l'islam qui a été théâtralisée en France. Est-ce que cette réunion participe de cette théâtralisation?

Raphaël Liogier: C'est là le nœud du problème. Cette théâtralisation de la guerre des identités dont l'islam serait l'identité allogène par excellence est une grille de lecture constante. Les musulmans seraient les faux français par excellence, mais aussi les faux républicains. Toute la question est de savoir si cette instance va faire partie de cette théâtralisation ou va la remettre en question. Du côté de Bernard Cazeneuve, il s'agit bien de remettre en question cela mais du côté de Manuel Valls, il peut s'agir de continuer à écrire le scénario de cette théâtralité avec des identités prétendument en guerre.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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