Plusieurs personnes partout dans le monde sont mortes parce que des politiciens américains n’ont pas voulu être taxés de faibles ou antipatriotes, a indiqué Daniel Ellsberg, le dénonciateur qui a divulgué les Pentagon Papers, dans une émission de RT.
Daniel Ellsberg, qui est aussi vétéran de l’armée américaine, a été jugé en vertu de l’Espionage Act of 1917, tout comme Chelsea Manning et Edward Snowden.
RT : Vous avez fait face à 115 ans de prison. Rappelez-nous les détails de ces accusations.
Daniel Ellsberg : j’ai révélé près de 7 000 pages de dossiers classés secret-défense relatant l’implication politique et militaire des Etats-Unis au Vietnam de 1945 à 1967. En fait, la plupart des Américains ignorent que le gouvernement était impliqué au Vietnam dès 1945, ils pensaient que ce n’était qu’une guerre française. Mais, c’est nous qui avons financé un grand nombre des opérations françaises, 80% environ, au Vietnam jusqu’en 1954. C’était une opération d’ingérence américano-française de longue durée contredisant tous les principes de droit à l’autodétermination, d’indépendance des nations, de souveraineté nationale et j’en passe.
En réalité, c’était essentiellement une intervention impérialiste contre le Vietnam basée sur des mensonges et tromperies sur les buts réels de ces opérations et sur ce que nous faisions réellement là-bas. Comme l’ont révélé les Pentagon Papers, ceux qui prenaient les décisions savaient pertinemment qu’ils s’engageaient dans une grande guerre aux perspectives de succès très incertaines qu’ils ne servaient en rien les intérêts nationaux des Etats-Unis, la même chose s’est passé avec l’Irak où l’engagement de notre pays reposait sur des mensonges. Malheureusement, dans le cas de l’Irak, personne n’a joué le rôle d’un Edward Snowden à haut niveau pour nous révéler que nous étions entrés en guerre pour des motifs mensongers. Bien sûr, Chelsea Manning a transmis à WikiLeaks différents documents militaires classifiés sur des agressions et des actes criminels, y compris des cas de torture et de massacres en Irak et en Afghanistan.
RT : Vous faîtes honneur à Chelsea Manning dans le sens que sans lui, des milliers de soldats américains seraient morts aujourd’hui, et il faut ajouter à cela que les Etats-Unis et le Royaume-Uni bombardent l’Irak actuellement.
Daniel Ellsberg : Le lien de causalité est indirect, mais grâce à WikiLeaks, Julian Assange à travers laquelle Manning a révélé les atrocités des soldats américains dissimulées par le gouvernement en Irak. Une fois que l’information a été publiée, il devenu impossible pour le Premier ministre Nouri al-Maliki de permettre aux Américains de rester en toute impunité et à l’abri de toute poursuite devant les tribunaux irakiens. En fait, Obama a retiré les troupes américaines contre son gré.
Maintenant, il y a ceux qui disent que si nous n’avions pas retiré les troupes, nous serions en meilleure forme, l’Etats islamique serait plus faible. Le fait est que l’Etat islamique recrute des gens essentiellement grâce à l’existence de l’occupation américaine au Moyen-Orient, et surtout à cause de leurs atrocités. Plus nous bombarderons et causerons des dégâts civils ou «collatéraux» comme on les appelle, nous fournirons un puissant outil de recrutement à l’Etat islamique. Je crois c’est la raison pour laquelle ces décapitations spectaculaires ont été diffusées sur Internet. Quand l’Arabie Saoudite décapite des gens, ce qu’elle fait au moins autant que l’Etat islamique, elle ne le fait pas devant des caméras car elle n’a pas peur d’être bombardée par les Etats-Unis.
RT : Reconnaissez-vous l’existence d’actions visant à salir la réputation de Manning, d’Assange et de Snowden ? Henry Kissinger, alors conseiller de Nixon à la Défense nationale, vous appelait «l’homme le plus dangereux des Etats-Unis».
Daniel Ellsberg : Il a dit cela à titre privé - cela est ressorti dans des enregistrements – à des gens qui pouvaient être tentés de m’attaquer physiquement. Mais il y a aussi les attaques subies en public, le fait d’être qualifié de traître, ce qui n’est pas facile à vivre pour l’Américain patriote que je suis, ainsi que pour Chelsea ou Edward Snowden. Ce sont des mots violents qui s’abattent sur toi. Chacun d’entre nous a décidé de surmonter les injures pour dire la vérité. Je respecte profondément Manning et Snowden pour ça.
Je crois que beaucoup de gens sont morts partout dans le monde parce que des politiciens américains n’ont pas voulu se faire insulter, être taxés de faibles, de faux patriotes, de complaisants envers le communisme dans le passé et ou de complaisants envers le terrorisme en ce moment et préfèrent par conséquent continuer à mener une politique expéditive qui ruine vraiment beaucoup de vies.
RT : A l’approche de la guerre d’Irak en 2003, vous avez dit que Washington pourrait créer un incident du type du «Golfe du Tonkin». Expliquez, s’il vous plaît ce que vous entendez par «incident du golfe du Tonkin», et si ces jours sont finis.
Daniel Ellsberg : Il est certain que rien n’est fini. [George W.] Bush, en fait, avait proposé au Premier ministre [Tony] Blair (cela a fuité sur des notes de service de Downing Street maintenues dans l’ombre pendant longtemps puis finalement divulguées) d’envoyer des avions de reconnaissance Lockheed U-2 déguisés en avions de l’ONU qui seraient ciblés par l’Irak, ce qui nous aurait donné un prétexte pour bombarder. Blair a refusé cette proposition, Dieu sait pourquoi.
Cependant, les Etats-Unis, finalement, ont pénétré sur le théâtre d’opérations sans inventer aucune provocation. Je dois dire que j’étais vraiment surpris qu’ils n’aient pas falsifié l’existence d’armes de destruction massive en Irak, que Powell se soit contenté d’agiter des petits flacons d’anthrax…
L’«incident du golfe du Tonkin» se réfère à la soi-disant agression contre des destroyers américains dans le golfe de Tonkin au large du Nord de Vietnam, présentée comme une attaque injustifiée, qui non seulement a été provoquée, mais qui était une provocation, nous avions mené des raids d’infiltration au Nord-Vietnam avec l’intention précise de provoquer une attaque qui justifierait notre bombardement. Mais dans ce cas, aucune attaque n’a suivie, les Vietnamiens n’ont pas répondu à la provocation. Nous avons dû presque prétendre qu’une attaque a été perpétrée. Vous voulez savoir si ces plans secrets sont notre passé et notre avenir ? En somme, je pense que oui, parce qu’il est nécessaire de persuader les Américains et les autres qu’il est nécessaire pour nous de bombarder. Ils étaient certainement prêts à recourir à de telles actions par le passé, cela est déjà arrivé.
RT : Ces derniers jours, le quotidien The Wall Street Journal a parlé d’Edward Snowden, que vous soutenez, comme d’une «marionnette de Poutine» qui fait le sale travail du président russe. Considérez-vous qu’il y a diffamation ?
Daniel Ellsberg : C’est le principe du journalisme jaune qui, selon moi, guide le Wall Street Journal : dire n’importe quoi, gribouille n’importe quoi et salir n’importe qui en répétant n’importe quelles accusations... C’est une stupide d’accuser Snowden de servir tel ou tel leader étranger, son rôle est de dire la vérité et il le fait de manière cohérente. Je crois qu’il n’a rien fait à part réveiller les consciences depuis que nous avons appris son existence.
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