La guerre de l’UE contre les migrants renforcera Daesh, mais peut-être est-ce le but recherché

La guerre de l’UE contre les migrants renforcera Daesh, mais peut-être est-ce le but recherché Source: Reuters
Des migrants attendent leur débarquement dans un port sicilien
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«L’UE n’éliminera pas le trafic de migrants, mais aidera à concentrer la puissance de feu dans les mains de violentes bandes libyennes», explique Dan Glazebrook, pour justifier le recours à la force de l’Europe dans cette crise migratoire.

Suite à un nombre important de morts en Méditerranée à la fin avril, où presque 1 300 réfugiés se seraient noyés en une semaine, l’UE a rapidement saisi l’occasion d’augmenter son engagement militaire en Afrique.

Résistant aux appels persistants à relancer des opérations de recherche et de sauvetage, la réunion d’urgence du Conseil européen le mois dernier a par contre appelé à bombarder les bateaux que les migrants utilisent pour fuir du continent africain, promettant d’«entreprendre des efforts systématiques en vue d'identifier, de capturer et de détruire les embarcations avant qu'elles ne soient utilisées par les trafiquants».

Un document stratégique présenté au Conseil de sécurité de l’ONU par la haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Mogherini, en a dit plus sur les détails de l’opération: «elle exigera un large éventail de capacités aériennes, maritimes et terrestres. Celles-ci pourraient inclure : les services de renseignement, la surveillance et la reconnaissance; des équipes d'embarquement; des unités de patrouille (aériennes et maritimes) ; des moyens amphibies, y compris les unités des forces spéciales».

Entretemps, des «activités terrestres» pourraient inclure «des actions le long de la côte, dans des ports ou au large, sur les navires et autres équipements des trafiquants avant qu’ils soient utilisés». Autrement dit, une nouvelle attaque à grand échelle de la Libye, menée depuis l’air, la mer, et sur le sol.

Il va sans dire que le plan a été rejeté par les deux «gouvernements» de la Libye – celui reconnu internationalement qui siège à Tobrouk ,et dans une rare démonstration d’unité, par le gouvernement non reconnu basé à Tripoli.

Prise au sérieux, une telle approche au problème de migration illégale est difficile à comprendre. Les experts se relaient pour condamner les projets de bombardements arguant que ce serait inutilement cruel, mais aussi grandement contre-productif. Une déclaration conjointe de l'expert indépendant de l'ONU sur les droits de l'homme des migrants, François Crépeau, et l'experte indépendante sur la traite des personnes, Maria Grazia Giammarinaro, a prévenu que «l’augmentation de la répression de la migration de survie n’a pas fonctionné dans le passé et ne fonctionnera pas maintenant. La destruction des bateaux n'est qu’une solution à très courte vue de la lutte contre la contrebande. Les passeurs continueront de s'adapter habilement, tant qu'il y aura un marché à exploiter».

La guerre de l’UE contre les migrants renforcera Daesh, mais peut-être est-ce le but recherché Source: Reuters
Les migrants libyens à la côte italien

En Libye, le marché de la contrebande est géré par une pléthore de petites mains, certains organisant des passages sur des petits bateaux loués aux pêcheurs. Ces petits fournisseurs ne pourront probablement pas résister à un assaut militaire concerté. Avec les prix qui s’envolent en raison d’une demande continue mais une offre de plus en plus limitée, ce trafic trouvera certainement les moyens de continuer. Mais ce trafic sera pris en main par ceux qui ont la puissance de feu nécessaire à conduire ces opérations sur un terrain de nouveau militarisé, c’est-à-dire dans les mains de groupes terroristes comme l’Etat islamique ou Al-Qaïda. Et ces groupes seront les maitres d’un marché qui deviendra infiniment plus rentable.

Le résultat presque garanti de la stratégie de l’UE n’éliminera pas le «trafic de migrants», mais aidera à concentrer les richesses et la puissance de feu dans les mains des bandes libyennes les plus violentes. Et cela devrait être évident pour n’importe quel étudiant en économie de lycée, même avec une connaissance basique du concept de l’offre et de la demande. Il n’est pas étonnant que le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, le gouvernement russe et même certains membres des forces militaires françaises s’opposent à ce projet.

Alors, on se pose la question de savoir pourquoi l’UE se prononce si fermement en faveur de cette pratique contre-productive qui mènera à une faillite morale ? Bien sûr il y a l’explication comme quoi c’est une façon pour les gouvernements de chasser sur les terres de l’extrême droite en montrant les muscles sur le terrain de l’immigration.

Cependant, une autre explication se pose. Dan Glazebrook et beaucoup d’autres ont observé au cours de ces quatre dernières années que le déclenchement de la violence sectaire à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord n’est pas un accident de parcours provoqué par la politique occidentale dans la région, mais en fait, l’objectif principal. Au milieu des années 2000, la puissance économique grandissante des pays du Sud représentait une menace à l’extorsion européenne et nord-américaine de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine.

Depuis que ces régions ont reçu une indépendance formelle du colonialisme, elles sont restées attachées à leurs anciennes (et nouvelles) puissances coloniales par des millions de liens économiques. Pourtant, l’ascension de la Chine (de l’Inde et du Brésil à moindre échelle) a écrasé l’ancien monopole occidental des marchés et des finances, et a permis à un pays après l’autre de se libérer de la dépendance économique de l’Europe et des Etats-Unis, et de s’orienter vers la coopération Sud-Sud dans laquelle l’Occident a été écartée. La forte hausse des investissements de la Chine en Afrique, qui s’élevait à 6 milliards de dollars en 2000 et culmine à 200 milliards de dollars aujourd’hui, est l’exemple le plus vif d’une tendance mondiale.

La déstabilisation par le terrorisme est la voie empruntée par l’Occident pour récupérer la puissance qu’il ne peut plus maintenir à travers de la seule manipulation économique. Comme les pouvoirs régionaux déstabilisés ne peuvent pas contribuer à la force grandissante des BRICS et ne peuvent pas soutenir leur orientation vers l’autosuffisance, ils sont de ce fait plus dépendants de l’aide militaire de l’Occident et des financements internationaux. Par la création d’un état défaillant l’un après l’autre en Irak, en Afghanistan, au Somalie, au Kosovo et en Libye – les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont créé les conditions favorables au développement d’activités terroristes, et en soutenant directement les milices sectaires en Libye et en Syrie en particulier, ils ont fait en sorte que les milices tiennent les pays affectés dans un état de chaos permanent. C’est à dire, faible et dépendant.

Si cette analyse est correcte, si l’Occident poursuit sa politique de déstabilisation contre les pays du Sud afin de les maintenir faibles et dépendants, alors cette stratégie controversée qui consiste à concentrer le trafic de migrants dans les mains de l’EI et de l’Al-Qaïda prend tout son sens. Il s’agit peut-être d’une mesure désespérée pour que ces groupes continuent à exister.

Dan Glazebrook à RT.

Dan Glazebrook est journaliste politique et auteur de “Divide and Ruin: The West's Imperial Strategy in an Age of Crisis.” [Ruine et division: la stratégie occidentale à une époque de crise]

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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