Le journaliste du mensuel progressiste Ruptures, Laurent Dauré, a déclaré dans une interview avec RT France que les migrations sont très liées à la politique étrangère des puissances occidentales.
RT France : Que passe-t-il à Paris avec ces camps de migrants dans le quartier de la Chapelle ?
Laurent Dauré (L.D.) : C’est un nouvel épisode des drames de l’émigration. On en a vu récemment l’ampleur avec les naufrages en Méditerranée qui ont fait de très nombreuses victimes, environ 800 en un seul jour le 19 avril dernier.
Ici, à Paris, il s’agit majoritairement de Soudanais qui fuient leur pays pour échapper aux conséquences de la partition du Soudan voulue et encouragée par l’Occident, principalement les États-Unis. Ils cherchent simplement à trouver des moyens de subsistance et surtout à garder la vie sauve. Les migrations sont très connectées à la géopolitique et aux choix géostratégiques de l’Occident. Pourquoi ces gens décident de quitter leur pays ? Ce n’est pas par plaisir, ils ne partent pas en vacances, ils y sont contraints et forcés par la misère, par la guerre et il faut examiner les causes de celles-ci pour comprendre la situation.
RT France : Ces migrants ne sont pas pris en charge, ils sont juste là, au cœur de Paris. Pourquoi les autorités ne font-elles rien ?
L.D. : J’espère que les autorités vont réagir parce qu'il n’est évidemment pas acceptable d’entasser des gens dans ces conditions. La situation ne peut que se dégrader et de façon très prévisible, cela accroît les tensions au sein de la société française ; ces événements cristallisent les passions et les partis politiques utilisent cela pour monter les Français les uns contre les autres et les détourner d'une compréhension globale de ces phénomènes.
RT France : La France a décidé de renforcer les moyens et des dispositifs pour sauver les migrants en mer mais semble ne pas faire grand-chose pour améliorer leurs conditions de vie sur le continent. Qu’en pensez-vous ?
L.D. : C’est l’hypocrisie habituelle de la classe politique qui s'indigne et proclame de belles intentions quand il y a des drames comme on l’a vu en Méditerranée en avril mais qui se garde bien de faire quoi que ce soit de concret quand il y a des situations d’urgence moins médiatisées. On laisse pourrir la situation sans agir sur les causes, en exposant les migrants au mécontentement des habitants. C’est irresponsable et très hypocrite parce qu’on s’en remet en fait aux associations humanitaires, aux associations qui viennent en aide aux migrants, en se disant qu’elles vont effectuer le travail de première nécessité.
RT France : La majorité des migrants vient du Soudan comme vous l’avez indiqué. Il y a quand même beaucoup d’autres migrants qui viennent d’autres pays, notamment de la Libye, de la Syrie, du Mali. Est-ce que la France est partiellement responsable de la situation actuelle ?
L.D. : Bien sûr, puisque nous avons, non seulement approuvé mais participé à la déstabilisation, voire à la destruction, des pays que vous avez mentionnés. Nous sommes à l’origine du chaos que connaissent ces pays, nous sommes donc responsables des conséquences de celui-ci, en l'occurrence les déplacements de population. Les gens fuient les catastrophes que les puissances occidentales ont provoquées. Donc, oui, le pouvoir français a une énorme responsabilité dans cette situation puisque la politique d’ingérence et de guerre produit nécessairement de tels effets. On le sait à l’avance. Quand on entame une opération militaire, quand on déstabilise un régime en utilisant au passage des groupes terroristes, on connaît les conséquences. Il est complètement cynique et hypocrite de prétendre se soucier des répercussions prévisibles de notre politique étrangère.
RT France : En quoi la présence de ces migrants, sous le pont de la Chapelle, dérange, en quoi est-elle gênante tant pour les habitants que pour les autorités parisiennes ou françaises ?
L.D. : Il est bien sûr révoltant que des personnes vivent dans de telles conditions. Personne ne devrait avoir à habiter dans une tente sous un métro parisien. Les autorités doivent donc trouver des solutions rapidement. Après, les habitants qui y voient des désagréments… On peut comprendre ce point de vue, mais là encore il ne faut pas regarder les choses par le petit bout de la lorgnette, il faut toujours considérer la situation dans son ensemble et voir quelles sont les causes de tout cela. Il serait injuste de s’en prendre aux migrants qui n’ont pas choisi d’être là, qui préféreraient être ailleurs dans une situation plus favorable. Il ne faut pas jeter la culpabilité et l’opprobre sur des gens qui sont les jouets des événements et qui sont ballotés ici et là en fonction des conflits, de la misère, des politiques migratoires, des choix politiques. Il peut y avoir des désagréments pour les gens qui habitent là, sans doute, mais ils auraient tort de considérer que les gens qu’ils ont sous leurs yeux en sont directement responsables.
RT France : Vous dites qu’il faut régler la situation. Mais comment peut-on régler cette situation ?
L.D. : Ce que l’on peut faire, c’est cesser la politique d’ingérence dans les pays du Sud, c'est cesser d’imposer des conditions économiques et commerciales aux pays du Sud (via notamment les organismes internationaux comme le FMI, la Banque mondiale et l'OMC) qui sont telles que de nombreux membres des populations concernées n’ont pas d’autre choix pour survivre que de se lancer sur les routes de l’émigration. C’est cela que les pays occidentaux peuvent changer. En cessant de s'ingérer et d'imposer le libre-échange partout (sans parler du système de la dette), ils peuvent faire en sorte que de telles situations se raréfient, que moins de personnes se retrouvent contraintes à prendre des embarcations de fortune…
RT France : Beaucoup de migrants veulent rejoindre l’Angleterre, cela peut-il dire que la France n’est plus attirante pour les migrants ?
L.D. : Le fait que la situation économique et sociale en France se dégrade sans cesse doit compter. Après, les migrant ne se font pas toujours une représentation correcte des conditions de vie qu’ils trouveront dans le pays qu’ils ont choisi. Mais dans leur esprit, il est préférable d’aller en Angleterre (dont ils sont plus nombreux à parler la langue) où ils ont plus de chances de trouver un travail et actuellement, c’est sans doute vrai.
RT France : Cela veut dire que non seulement la France n’a pas les moyens pour aider les migrants qui sont déjà sur le sol français mais aussi la France n’a pas les moyens pour les accueillir ?
L.D. : Les moyens, on les a quand il s'agit de faire la guerre ou de renflouer des banques... Donc l’argument des moyens ne tient pas. Cela dit, il faut ajouter un point important : la France, comme vous le savez, appartient à l’Union européenne, elle est liée par des traités européens qui ont un impact très négatif sur l'économie, l'emploi et la protection sociale. Et donc, des moyens, nous pourrions en retrouver en sortant de l’UE, en sortant de l’euro, en renonçant à l'austérité et à cette folle politique de désindustrialisation qui évidemment nous condamne à avoir moins de ressources, moins de rentrées fiscales pour l’État, moins de moyens d’action publique.
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