L’ambassadeur américain interdit d’entrée au château de Prague

L’ambassadeur américain interdit d’entrée au château de Prague© Source : Wikipédia
L'ambassade américaine
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L’écrivain et le journaliste irlandais Bryan MacDonald, dont le travail se concentre sur la Russie et ses arrière-pays, croit qu'il est temps pour les Etats-Unis de traiter l’Europe de l’Est avec respect.

Ce qu’il y a de plus surprenant dans la dispute entre président tchèque Milos Zeman et l’ambassadeur américain Andrew Schapiro, ce n’est pas les commentaires peu diplomatiques de l’envoyé, c’est la décision du dirigeant tchèque de résister à l’intimidation américaine.

Les diplomates sont généralement considérés comme des personnes hautement cultivées, dotées d’une connaissance profonde des relations internationales, qui ont enduré une longue formation avant être nommé à leur poste suprême de représentation. C’est vrai pour la majorité de puissances mondiales. Pourtant, il y a une exception notable, ce sont les les . Dans ce pays, les ambassadeurs sont bien souvent nommés par copinage, en guise de récompense pour services rendus à des alliés politiques.

L’«exception à l'exception» émerge dans le cas où le pays est particulièrement stratégique aux yeux des Etats-Unis ou si les relations sont particulièrement tendues. L’exemple le plus marquant est  où le militaire de carrière Geoffrey Pyatt a été nommé au poste d’ambassadeur quelques mois avant le début de la crise de Maïdan. Moscou appartient à la seconde catégorie, où l’ambassadeur très expérimenté John Tefft a remplacé Michael McFaul en 2014, dont le mandat a été généralement qualifié de désastre.

Les ambassadeurs comme Geoffrey Pyatt prennent leur rôle très au sérieux, quand ils ne vont pas jusqu’à désigner eux-mêmes les membres du gouvernement de leur pays d’affectation. Ils sont bien informés des objectifs de la politique étrangère américaine et ont un vaste réseau dans le département d’Etat. L’engagement partisan de Pyatt en Ukraine n’était pas une prestation solo : il est évident que de telles manœuvres sont approuvées par les échelons supérieurs, qu’il s’agisse du contrôle de la circulation dans les rues de  ou des gesticulations hystériques contre les «terroristes» du Donbass. Geoffrey Pyatt est aussi un communiquant expérimenté qui a savamment manipulé les faiseurs d'opinion à Kiev. Bien sûr, le fait que la majorité de journalistes occidentaux qui couvrent l’actualité russo-ukrainienne sont très mal renseignés sur leur sujet a considérablement facilité la tâche.

L’ambassadeur américain typique ne doit pas être un «héros» comme Pyatt. La plupart se sont juste acheté une synécure. En général, les nominations aux postes d'ambassadeur des Etats-Unis récompensent une participation conséquente aux collectes de fonds du parti en place à la Maison blanche. Plus rarement, elles sont accordées à une personnalité publique étroitement liée au pays. Par exemple, la sœur de John Fitzgerald Kennedy, Jean Kennedy Smith, a passé cinq ans à Dublin, ce qui a permis de renforcer les relations amicales entre les Etats-Unis et le pays d'origine de la famille Kennedy.

L’ambassadeur américain interdit d’entrée au château de Prague Source: Reuters
Milos Zeman

L’Holocauste version Andrew Schapiro

Revenons maintenant à Andrew Schapiro. L’ambassadeur actuel à Prague a fait ses études à la Faculté de droit de Harvard avec un an d’avance sur le président Obama, ce qui fait Schapiro est un membre atypique de la «dream team» diplomatique de l’administration . Il a des liens familiaux avec la République tchèque où sa mère, Raya, née à Prague, résidait avant de fuir l’Holocauste. Sa grand-mère et son oncle sont restés et morts en Pologne, l’une dans le camp d'Auschwitz et l’autre dans le camp de Treblinka.

Sans aucun doute, Andrew Schapiro savait que les camps de la mort allemands ont été libérés par les forces soviétiques (qui étaient majoritairement composées de Russes), bien que le camp de Treblinka ait d’abord été démoli par les nazis dans une tentative futile d'étouffer l’affaire. Ironiquement, le premier officier soviétique à pénétrer dans le camp d’Auschwitz était un homonyme de l'ambassadeur - Anatoly Shapiro.

Le passé de l’ambassadeur rend sa tentative d’intimider le président Milos Zeman encore plus ridicule. Pourtant, une chose que les Américains n’aiment pas est quand on ignore leurs ordres. Comment vos ordres pourraient-ils remis en question lorsque vous croyez appartenir à une nation «indispensable»?

Ce qui est clair, c’est qu’une fois que Barack Obama a annoncé qu’il n’allait pas assister au 70ème anniversaire du Jour de la Victoire à Moscou, le département d’Etat s’attendait à ce que tous les pays «alliés» suivent son exemple. Et tout le camp occidental a joué le jeu... A part la  qui insiste sur sa souveraineté économique et diplomatique, Chypre et la République tchèque.

Complètement non qualifié pour son rôle, Andrew Schapiro est intervenu et a directement critiqué le choix de Milos Zeman de visiter Moscou le 9 mai. Nul besoin d’essayer même d’imaginer la réaction américaine si l’ambassadeur tchèque aux Etats-Unis se mettait à réprimander Obama pour la reconnaissance de Cuba ou l’organisation d’un coup d’Etat en Ukraine, pour ne citer deux exemples. Si la majorité des Américains comprenait où se trouve la République tchèque, l’ambassadeur serait villipendé.

La motivation de Milos Zeman

Le président tchèque déclare qu’il visitera Moscou pour «rendre grâce» au fait que les Tchèques ne parlent pas allemand aujourd’hui. Un autre fait historique non mentionné est que la Tchécoslovaquie (à l’époque) a été remis à Hitler par le «monde libre» en 1938. Inversement, les chars soviétiques sont entrés à Prague 30 ans plus tard pour réprimer brutalement un soulèvement. Par conséquent, les Tchèques ont un rapport ambivalent à la Russie et aux puissances occidentales. Etant donné les leçons de leur histoire, les Tchèques croient généralement qu’ils ne peuvent faire confiance à aucune partie.

Le président tchèque s’est opposé avec virulence à la vénération de Stepan Bandera par le régime ukrainien instauré après le coup d’Etat de février 2014. En janvier, il a noté que Bandera avait planifié d’établir un Etat fantoche nazi dans l'hypothèse où l’Allemagne réussirait à arracher l’Ukraine à l’URSS. Comme son prédécesseur Vaclav Klaus, Milos Zeman a critiqué les sanctions adoptées par les Etats-Unis à l’encontre la Russie.

La semaine dernière, Milos Zeman a attaqué les révisionnistes de l’histoire, en remarquant que l’URSS n’a pas annexé la Tchécoslovaquie après la guerre. «Les soldats soviétiques sont entrés en 1945 comme libérateurs, et à l'automne de l’année suivante, ils ont quitté le pays», a-t-il déclaré. «En 1946, des élections libres se sont tenues qui ont été malheureusement remportées par le Parti communiste».

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Andrew Schapiro

L’ambassadeur américain a affirmé que la décision de Zeman se rendre à Moscou était «irréfléchie» et que ce serait «embarrassant» si le président tchèque était le seul homme d’Etat d’un pays de l’UE sur la Place Rouge, comme s’il n’était pas au courant des intentions de la Grèce et de  de répondre présents. La chancelière allemande Angela Merkel sera attendue à Moscou le lendemain, le 10 mai.

Le nouveau siècle américain ?

Maintenant que Milos Zeman a interdit à Andrew Schapiro d’entrer dans le château de Prague, la résidence du président tchèque, le nouvel épisode de ce tête-à-tête promet d'être fascinant. Le président sera certainement soumis à une pression massive de certains éléments de son propre gouvernement pour faire marche arrière. Pourtant, il est peu probable qu’il se rende alors qu’il lui reste trois années de mandat sur cinq.

Pour les Etats-Unis, nous pourrions être arrivés à une croisée des chemins dans leur approche de l’Europe de l’Est. On décèle un sentiment que le soutien de la politique américaine contre la Russie a été tenu pour acquis par Washington. Pourtant, la crise ukrainienne a tout changé. Alors que les nations baltes soutiendront la politique américaine jusqu'au bout pour ce qu'elles jugent être des raisons existentielles, beaucoup de pays balkaniques et d’anciens membres du pacte de Varsovie ont un point de vue différent.

Dans un contexte économique moribond pour  et en particulier pour la Grèce, nombreux sont ceux qui se demandent si le jeu à somme nulle épousé par Washington est en fait bénéfique. Alors que la majorité des Etats de l’UE post-communistes ont fait des progrès rapides après leur adhésion initiale, les améliorations sont complètement tombées en panne depuis 2008. La Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque ont exprimé ensemble des degrés différents de gêne concernant la politique de l’UE envers la Russie. Tout comme la Grèce et Chypre qui n’ont pas enduré le communisme. En outre, la Serbie et la Turquie, qui sont toutes deux candidates à l'adhésion à l’UE, se sont à leur tour vigoureusement opposées aux sanctions antirusses.

Le choix qui attend Washington est clair : continuer à intimider l’Europe de l’Est et risquer de perdre de précieux soutiens ou écouter les inquiétudes de la région. Le problème est que cela impliquerait de reconnaître l’absurdité de la politique américaine en Ukraine et le rôle clé joué par la Russie en Europe de l’est. Pour commencer, la Maison blanche pourrait songer à nommer des vrais diplomates dans la région, pas des protégés d’Obama ou des femmes avec un penchant pour Ferrero Rocher.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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