L'Europe, terre d'immigration depuis toujours?

L'Europe, terre d'immigration depuis toujours?© Marko Djurica Source: Reuters
Des réfugiés au poste de frontière à Rozske, en Hongrie
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L’Europe affronte la question pressante des migrants alors que beaucoup redoutent de les accueillir et de les prendre en charge. RT s’est penché sur l’Histoire pour tenter de voir si un remplacement des peuples à l’échelle européenne était possible.

Si beaucoup s'inquiètent aujourd'hui de voir l'immigration changer de visage, et prendre une ampleur nouvelle, l'Europe a toujours été marquée par ces flux de populations. Mais aujourd'hui comme hier, «ces grandes migrations sont toujours restés minimes par rapport à la population européenne», estime Hervé Le Bras, démographe, directeur d’étude à l’Institut national d’études démographiques (INED) et historien enseignant à l’Ecole des hautes études de sciences sociales (EHESS). L'idée d'une Europe construite par les migrations serait donc exagérée, et l'idée parfois agitée par les milieux d'un «grand remplacement», un «fantasme».

Des «invasions barbares» un brin fantasmée

Invasions barbares. Le terme fait peur, et est parfois utilisé pour décrire l'afflux de réfugiés en Europe. Pourtant, il remonte à loin, et illustre une toute autre immigration. Cette expression fait en effet référence à un vaste mouvement de population qui s'est produit en Europe entre les IIIe et VIe siècle. L'Europe est alors aux mains des Romains. Leur empire va tomber, face à l'invasion de tribus germaniques, les Barbares.

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Les invasions barbares

Les premiers «migrants» sont les Goths, qui sont très rapidement fédérés, mais prennent peu à peu plus de pouvoirs. Ces Germains s'installent alors dans les pays nordiques comme le Danemark, ou l'Allemagne actuelle. Suivront les Vandales, peuple du Nord de l'Allemagne actuelle qui, chassés par les Huns, vont traverser et s'installer en France, en Espagne, en Angleterre et en Italie. Pourtant, ces «migrants», s'ils vont bouleverser les institutions, créer des empires, parfois même apporter une religion, ne vont en rien changer le visage de la population européenne, estime Hervé Le Bras. «Il y avait très peu de monde à s'installer lors de ces invasions», note l'historien. «Et cela a duré trois ou quatre siècles, ils ont eu le temps de se fondre dans la masse.»

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Le sac de Rome par Genséric en 455. Toile de Karl Briullov

Si l'historiographie a retenu le terme d'«invasion barbares», ces envahisseurs ne représentaient donc que 5 à 10% de la population totale du continent européen. Leur nombre «n'a pas fait changer l'Europe. Le peuple romain n'a clairement pas été remplacé par les Barbares», appuie Hervé Le Bras. «On sait par exemple que les Vandales étaient 200 000 quand ils ont conquis la Gaule, alors que la population était de 8 à 12 millions. Quand ils ont dominé cette région, qu'ont fait les Francs ? Ils se sont installés, ont fait des enfants et se sont mêlés à la population. En deux générations c'était réglé, ils étaient aussi européens que ceux avec qui ils se sont installés.»

Les Hongrois, ces Magyars très vite devenus Européens

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Les Magyars ont envahi une partie de l’Europe centrale

En 895, un autre peuple vient attaquer, puis peupler, ce qu'on l'on ne considère alors pas encore comme l'Europe. Les Magyars sont un peuple venu de l'Oural, très loin de cette «Europe» occidentale, dans la Russie actuelle. Chassés, ils viennent s'installer en Pannonie, une région d'Europe centrale qui est située à l'emplacement de l'actuelle Hongrie, de la Croatie, de la Slovénie ou encore de l'Autriche. S'ils tenteront ensuite de migrer vers l'Ouest de l'Europe, ils seront repoussés vers la Hongrie, où ils vont s'installer pour du long terme. Ils créent alors le Royaume de Hongrie, un temps divisé entre le Saint-Empire et l'Empire Ottoman.

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La migration des Hongrois

L'Autriche-Hongrie, créé en 1867, réunira finalement deux peuples aux origines bien différentes, des Germains, et des cavaliers de l'Oural. Mais là encore, pour les historiens, difficile d'estimer que les Hongrois d'aujourd'hui, ou même d'il y a plusieurs siècles, sont issus d'Orient. «Un gros travail a été fait, et il s'avère qu'il n'y a aucune trace de différences génétique entre la Hongrie et le reste de l'Europe», affirme Hervé Le Bras. «On ne peut pas dire que quelques cavalier Magyars ont créé le peuple hongrois. Ils ont créé l'Etat, mais pas le peuple.» Pourtant là aussi, l'image d'un remplacement d'une population par une autre a souvent été utilisée.

Les Européens, premiers migrants

Si l'Europe s'inquiète aujourd'hui d'une soi-disant immigration massive, ce sont bien les peuples d'Europe qui ont été les premiers à entraîner d'importants mouvements de population. «L'Europe a énormément colonisé, et a façonné le visage du continent, mais sans réellement le changer», remarque Hervé Le Bras. L'Empire grec, parti d'Athènes par exemple, s'est ensuite étendu «de l'Afghanistan à l'Espagne. Forcément, quand leur empire s'est effondré, tout les Grecs ne sont pas rentrés à Athènes.»

Autre exemple, celui de l'empire romain, qui a envoyé des peuples d'un bout à l'autre de l'Europe pour imposer ses vues sur le monde. Difficile de dire, là aussi, que cela a changé le visage des peuples concernés, même si les institutions ont pu évoluer dans les pays concernés. «Les Romains ont déplacé des populations entières» note Hervé Le Bras. «Ils ont par exemple installés des Sarmates, une population qui vivait au Sud de la Russie, en Angleterre.» Mais là encore, les changement réels sur les populations sont restées très réduite.

Les empires coloniaux, eux aussi, ont entraîné d'importantes migrations. Mais il est d'ailleurs notable de remarque que si les Français ont vécu longtemps en Afrique, que les Anglais se sont installés en Inde, ils n’ont pas plus que les migrants vers l’Europe changés les pays où ils s’installaient. «Comme dans l'autre sens, les migrations restaient trop limités pour évoquer un changement de la population.»

Pendant tout le 19e enfin, l'Europe est une région dont ont part. Entre 1820 et 1930, 55 millions d'Européens quittent l'Europe pour l'Amérique du Nord et du Sud. De nombreux Européens partent aussi à cette époque peupler les colonies des empires européens.

Les guerres mondiales, la reconstruction et la décolonisation, la seule vraie immigration

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Fanion du 43e bataillon de tirailleurs sénégalais portant l'inscription Douaumont 1916

Une nouvelle vague d'immigration prendra la suite de ses départs. Cette immigration sera alors avant tout intra-européenne. On note par exemple qu'en France, on compte 380 000 étrangers en 1851, contre 800 000 en 1876. En ce qui concerne la France, ces immigrés économiques viennent des pays proches, la Belgique et l'Italie principalement. L'Allemagne, de son côté, fait appel à des travailleurs polonais, qui arrivent en masse pour travailler dans les mines de charbon de la Ruhr. «Dans ces vagues de migration modernes, tout est lié à l'économie», appuie Hervé Le Bras. «Ce sont donc les pays européens qui font appel à l'immigration. La France par exemple, a alors une fécondité très faible, et a donc besoin de ces immigrés.» Après la Première guerre mondiale, lors de la reconstruction, Français et Allemand se battront même pour faire venir les travailleurs polonais.

Pour tous les pays d'Europe, la Première Guerre mondiale marque un nouveau tournant. La France fait très largement appel à ses colonies. 172 000 Algériens, 160 000 tirailleurs sénégalais, des Malgaches rejoignent l'armée en France. Des travailleurs sont aussi recrutés dans les colonies : 400 000 au total. «On sous-estime souvent l'importance de coloniaux venus durant la Première guerre mondiale», confirme Hervé Le Bras. «Il y avait par exemple 6 millions d'étrangers dans la Somme pendant la guerre. Beaucoup de ces étrangers feront ensuite le choix de rester en Europe.

L'Europe, terre d'immigration depuis toujours?
Immigrés de guerre

Les destructions immenses de la Seconde Guerre mondiale, la chute des empires coloniaux et surtout le besoin de main-d’œuvre, vont, très rapidement après la guerre entraîner une nouvelle vague d'immigration. «C'est là encore une demande des pays européens», remarque Hervé Le Bras. « Les vagues d'immigrants notables ont toujours été économiques et suscitées par les pays d'accueil.» C'est donc la France qui ira chercher, les 700 000 Algériens présents en France en 1975, ou les 750 000 Portugais qui rejoindront l'hexagone. Même constat en Grande-Bretagne, qui fera venir sur l'île des Nigérians, Ghanéens, puis plus tard des Pakistanais ou des Indiens, tous membres des anciennes colonies de la Couronne.

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France : immigration de 1851 à 1931

Ces années d'après-guerre sont, historiquement, celles durant lesquelles le solde migratoire a été le plus important. Selon Hervé Le Bras, c'est même la «seule vraie période de migration de l'histoire de l'Europe. Dans les années 60, ce solde migratoire a dépassé les 250 000 personnes par an. On a eu aussi les rapatriés (des colonies, ndlr) qui représentaient un million de personnes. En terme d'immigration, c'est clairement la période la plus forte dans toute l'Europe, peut-être même la seule...» Ce sera d'ailleurs la dernière jusqu’à nos jours. «Beaucoup se sont depuis fondus dans l'Europe actuelle». Le choc pétrolier de 1974 entraîne alors une fermeture des vannes de l'immigration, qui est drastiquement réduite.

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Trois vagues d'immigration

La vague actuelle, notable sur le plan historique ?

Pour Hervé Le Bras, les chiffres actuels de l'immigration imposent un constat : «Il y a une espèce d'émotion qui l'emporte sur la raison, la réflexion et les faits.» Pour le démographe et historien, les cris d'orfraie des politiques qui évoquent la pire crise depuis la seconde guerre mondiale sont «déraisonnables. Déjà, nous sommes ici face à des réfugiés très nombreux, un cas pratiquement unique. Dans l'histoire, la seule comparaison viable, c'est celle des 12 millions d'Allemands qui ont été chassés de Pologne, des Sudètes ou de Roumanie après la guerre. Ils étaient 12 millions, et pourtant, ils se sont parfaitement intégrés dans l'Europe...»

A l'échelle de l'histoire, le flux migratoire actuellement subi par l'Europe n'a donc rien de remarquable. «Pour caricaturer, même si l'Europe acceptait les 4,5 millions de réfugiés Syriens, comparé aux 500 millions d'Européens, cela ne changerait rien. L'histoire le montre bien, cela reste une minorité qui s'intègrera, comme cela a toujours été le cas. Quand vous arrivez dans un pays plus civilisé, vous prenez ces mœurs, c'est ce qu'il s'est toujours passé.» Et le chercher de l'EHESS d'évoquer «cette vague d'Albanais qui devait envahir l'Europe il y a 10 ans. Aujourd'hui, ils vivent en Grèce et en Italie, plus personne le les remarque. »

L'Europe, terre d'immigration depuis toujours?© Dimitris Michalakis Source: Reuters
Des réfugiés syriens

Globalement donc, si l'Europe «est faite de mélanges», ces derniers n'ont jamais réellement bouleversé la démographie du continent, ni ses institutions ou valeurs. Et ce n'est pas ceux de ces dernières années qui devraient changer la donne. «Les migrations d'aujourd'hui sont en réalité très faibles par rapport à celle qui ont suivi la seconde guerre mondiale. Sur les cinq dernières années, le solde migratoire en France est de 40 000 personnes. Ce n'est rien, on est même dans des chiffres extraordinairement faibles.» On semble donc loin de cette théorie parfois avancée par les partis d'extrême droite du grand remplacement. «Il n'y a jamais eu de remplacement en Europe dans l'Histoire», estime Hervé Le Bras. «Et il n'y en aura jamais...»

 

 

 

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